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Les corsaires de Salé à l'assaut des mers

mercredi, 03 juin 2009 02:00
Parmi les passagers du trajet Tanger-Rabat se trouvait Leïla Maziane, historienne, universitaire, écrivain. Docteur de l'Université de Caen –Basse Normandie, elle est l'auteur notamment de « Salé et ses corsaires (1666-1727)* »,  pour lequel elle a reçu, des mains d'Eric Orsenna, le Prix du Livre Corderie Royale – Hermione 2008.  Nous avons demandé à Leïla Maziane  d'évoquer pour les lecteurs du Courrier la passionnante histoire des corsaires de Salé volet le plus emblématique du long passé  maritime de l'estuaire du Bouregreg
 
Découvrir le Belem
C'était une expérience unique, extrêmement riche humainement et techniquement parlant, surtout que le beau temps nous a accompagnés tout au long de la traversée ce qui nous a permis de savourer l'immensité océane et puis il y a les dauphins qui sont venus nous rendre visite très tôt le matin. Les quelques heures passées à bord de ce beau trois-mâts ont été suffisantes pour nouer les liens avec certains membres de l'équipage et des stagiaires. L'ambiance était très conviviale et l'amitié était au rendez-vous. Nous avons participé aux manœuvres, et j'ai tenu pour la première fois de ma vie la barre pendant un peu plus d'un quart d'heure... une aubaine !
Un autre moment fort de ce voyage, c'est bien sûr l'arrivée en vue de la côte de Rabat/Salé et le moment où le Belem a investi le Bouregreg et surtout le port... 
 
 
Quand les corsaires faisaient la prospérité de Rabat/Salé
Les corsaires de Salé, appelés communément Salétins, ont connu leur heure de gloire au XVIIe siècle. Leur port d'attache, sur le littoral atlantique marocain, à 50 lieues seulement du détroit de Gibraltar, était devenu une terre d'asile pour de nombreux immigrés venus notamment de la péninsule ibérique (Hornacheros et Morisques). L'attachement de ces derniers à la patrie perdue explique largement leurs visées politiques, militaires et économiques. Le désir de se venger des Espagnols et de fructifier leurs capitaux a pris la forme d'une ravageuse guerre de course. Mais, la rentabilité des razzias maritimes ne tarde pas à attirer également une population étrangère à la région, je pense notamment aux pirates de la Mamora, située à quelques kilomètres au nord de Salé, et qui étaient anglo-saxons pour la plupart. Salé accueillit également un nombre non négligeable de renégats de divers horizons et de Barbaresques en quête de lucre et de gloire, et, dont le concours en matière de techniques nautiques fût inégalable. La course a attiré aussi un grand lot de ruraux qui se sont rués vers une ville en plein essor à la recherche du pain et du travail, échappant ainsi aux épidémies et à la misère qui secouaient alors les campagnes marocaines et qui furent pour beaucoup dans ces vagues mouvements migratoires.
 
Jusqu'en Islande...
A son apogée dans la première moitié du XVIIe siècle, la course salétine déborde de son champ habituel d'intervention pour aller vers la haute mer atlantique, faisant de l'espace entre les Canaries, les Açores et le cap Finistère un véritable terrain de chasse : « n'approchant point la terre ferme de 20 à 30 lieues ». Et c'est bien au large de cet espace qu'ils effectuent la majeure partie de leurs prises. Beaucoup plus que leurs émules maghrébins, les corsaires de Salé ont su bénéficier de leur position géographique et de leur savoir faire en matière navale et deviennent la terreur des mers du Ponant : « Mon Dieu, gardez nous des Salétins », disait un rituel du Diocèse de Coutances en Normandie. En effet, les corsaires ont développé de longues campagnes d'été sur des théâtres plus septentrionaux. L'un de leurs succès les plus spectaculaires est le long voyage qui a, en 1627, mené les corsaires en Islande. Cette campagne, placée sous le commandement de Morat-Raïs, un renégat hollandais originaire de Harlem constitue une véritable prouesse maritime pour l'époque. L'opération se solde par le pillage de Reykjavik et par la prise de 400 Islandais, hommes, femmes et enfants.
 
Les navires et les hommes...
Les navires salétins disposaient de deux qualités. La première, étant la vitesse car l'efficacité des razzias maritimes dépendait essentiellement de leur grande mobilité, aussi bien pour rattraper leurs proies que pour échapper à un ennemi souvent dangereux. Ils « font toujours chemin, écrit Jean-Baptiste Estelle, le consul de la nation française a Salé,  pour peu de vent qu'ils ayent, à cause des grandes voilles dont ils sont couverts ». La deuxième qualité est la légèreté. L'existence de la barre aussi bien à l'embouchure de la rivière du Buregreg comme dans la plupart des rivières marocaines, a été la raison déterminante de la légèreté et de la petitesse des navires qui calaient, en plus, peu d'eau à cause du manque de fond du port.
Une autre particularité de l'armement corsaire salétin, c'est qu'il exigeait des équipages pléthoriques, notamment pour un abordage où la supériorité numérique était une arme essentielle. Le ratio moyen effectif-tonnage était en moyenne de l'ordre de 1,5 homme par tonneau, un taux exceptionnellement élevé : « Les équipages des navires sont toujours nombreux et c'est par cet endroit que leurs abordages sont toujours à craindre » écrit le Chevalier d'Arvieux vers 1670. Outre ces caractéristiques, le logement et les vivres nécessaires à l'équipage embarqué sont réduits au minimum. L'espace restreint dont on disposait était réservé généralement à l'installation des pièces de canon et à l'approvisionnement en poudre et munitions. Tout est sacrifié à la vitesse et à la puissance offensive.
 
Un contexte et des conséquences politiques
Dès ses débuts, la course salétine a constitué une activité créatrice d'emplois, la principale source d'embauche et de revenus pour Salé et un très vaste hinterland.
Les corsaires agissaient en vertu d'une commission délivrée par l'autorité publique, engageant la responsabilité de l'Etat. Le but immédiat, contrairement à la course européenne qui visait essentiellement à la destruction des forces ennemies, était la poursuite et la soif du lucre par l'emploi de la violence sur mer, en s'emparant des biens d'autrui à la suite d'un pillage bien organisé.
En 1627, les Salétins cessent de reconnaître l'autorité du sultan et se rendent indépendants. La « République » de Salé s'organise autour d'un gouverneur élu chaque année, assisté d'un conseil ou Divan et qui sera chargé, à travers l'intendance de la marine, de remettre les commissions aux corsaires. Toute campagne est précédée de la délivrance d'un « laissez-passer » en règle de la part des représentants des nations étrangères à Salé, afin de mettre le navire corsaire à l'abri des coups de leurs navires de guerre.
Même si elle ne visait nullement la production de richesses, cette activité prédatrice exigeait des investissements et assurait d'importants profits. Néanmoins, vers la fin du XVIIe siècle, avec son étatisation sous les premiers sultans alaouites, la course deviendra une sorte de levier politique et diplomatique. Elle a pour fonction de faire payer à certaines puissances maritimes européennes des tributs annuels. Les équipages sont ainsi réduits à la portion congrue d'une solde versée par le sultan-armateur. Ce changement du mode de rémunération devait entraîner le désengagement progressif des Salétins aux bénéfices éventuels des campagnes corsaires.
 
Un musée du patrimoine maritime
Aujourd'hui le projet de réaménagement de la vallée du Bouregreg va sans nul doute contribuer à la valorisation du patrimoine de Rabat/Salé. Néanmoins, les acteurs sont plus que jamais invités à développer davantage les concepts culturels liés au passé maritime de la région, et à promouvoir sa culture et sa mémoire maritimes. Je crois qu'il est grand temps de créer un musée maritime au cœur de ce lieu chargé de mémoire qu'est la Kasbah des Oudayas à Rabat, une première pour un pays d'une grande richesse maritime et qui dispose de plus de 3400 km de côtes. Et je crois que le passage du Belem par le Bouregreg s'inscrit dans la nouvelle dynamique que vit actuellement cette La Rochelle africaine.
 
 
 
 
* Salé et ses corsaires (1666-1727), un port de course marocain au XVIIe siècle,  Presses Universitaires de Caen (PUC), 2007

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