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L'effet Belem – Quand un journaliste s'y laisse prendre…

mercredi, 30 juin 2010 02:00
Vincent Hilaire journaliste et grand voyageur, familier de l'univers noir et blanc des pôles, a embarqué appareil photo au poing entre Cherbourg et Saint-Malo à la découverte du Belem : il a tout simplement vécu un stage et a accepté de faire partager ce qu'il a vu et ressenti, texte et images, aux lecteurs du Courrier du trois-mâts.
 
Lorsqu'on a la chance de poser un jour un pied sur le pont du Belem, c'est déjà un rêve qui se réalise. Dans mon parcours d'homme d'images, il m'a déjà été donné de parcourir quelques milles à bord de « beaux canots » comme on dit dans le milieu. Mais jusqu'à présent, j'avais navigué une seule fois à bord d'un vieux gréement, le cotre malouin « le Renard ».
 
Vendredi 11 juin 2010
« L'avantage avec ce genre de voilier c'est qu'on les repère toujours grâce à la hauteur de leurs mâts ! ». Le port de Cherbourg est vaste, mais quelques secondes après que mon interlocuteur ait fini sa phrase le Belem apparaît. Après quelques tentatives passées qui ne s'étaient pas conclues par « l'embarquement », il était là devant moi, accessible, bien amarré à un quai du port de Cherbourg.
 
Je suis assez chargé car pour l'occasion je me suis offert un nouveau boîtier photo et j'ai révisé au préalable mes anciens objectifs. Bref, tout mon matériel photo est de sortie, pour essayer le temps d'un week-end, de capturer quelques instants de l'intimité de ce mythe flottant : le seul trois-mâts barque français.
L'excitation est telle qu'après quelques formalités et une excellente cuisse de canard, je ne résiste pas au fait de prendre déjà une première série de photos. Comme si ce moment précieux, tant attendu, quelqu'un pouvait me l'enlever.
 
Le Belem lui semble plongé dans un grand calme proche de la léthargie. L'équipage attend la prochaine fournée de stagiaires et pour passer le temps, il regarde un match de football de l'équipe de France. La coupe du monde en Afrique du Sud commence à peine. Il fait très beau, à peine un peu frais.
 
Toujours gagné par cette fièvre de vivre un moment unique, je n'ai qu'une hâte, celle de voir voler au ras de l'eau ce grand oiseau blanc et noir. Il est 22h45, la nuit est vraiment tombée. Je descends dans la batterie réservée aux stagiaires. Malgré cette impatience, bien calé dans ma bannette, je ne tarde pas à sombrer dans un profond sommeil.
 
Samedi 12 juin, 7h00, je prends mon petit-déjeuner en compagnie de mes « copains de chambrée ». Mais il me tarde déjà de sortir sur le pont. De voir se déployer toute les ailes de cet albatros hauturier construit par les hommes, il y a 114 ans.
Vérifications, travaux en tout genre, préparation du gréement, calfatage du pont. J'essaye de capter ces moments de vie du bord. Il est un peu plus de 8h du matin et le village Belem est déjà entièrement actif. Tels des singes agiles, deux gabiers montent en haut des deux mâts principaux, faisant le spectacle. Ils vérifient les voiles, les préparent pour la navigation prochaine. Par petits groupes les stagiaires, têtes en arrière observent le sang-froid de ces hommes.
 
Une fois dégagés de la digue Napoléon qui barre l'entrée du port de Cherbourg, nous mettons le cap sur la première des îles anglo-normandes qui est sur notre route : Aurigny. Notre destination est Saint Malo, la cité corsaire. La terre natale de mon père. Non seulement je navigue à bord du Belem, mais en plus je vais arriver sous les remparts de l'une des deux villes qui est à l'origine de cette envie, cette boulimie de voyages et d'aventures maritimes en tout genre. De ce jeu avec la ligne d'horizon.
 
A bord du Belem, on a horreur de l'ennui et ça vaut mieux. Hisser tous les écrans blancs de ce cinéma pour géants, ça prend du temps. Et de l'énergie. Les 22 voiles du Belem ne se positionnent qu'à l'huile de coude. Je vous laisse imaginer la quantité de bouts qui court sur les ponts : gaillard d'avant, spardeck (au milieu du bateau) et dunette (à l'arrière). Il faut être gabier depuis plusieurs mois pour s'y retrouver. A bord l'ambiance est excellente, à quoi s'ajoute un temps très clément. Pendant ces deux jours, l'air ne sera pas au rendez-vous, Eole était sûrement occupé ailleurs.

Les stagiaires sont divisés par petits groupes et déjà halent leurs premiers bouts. J'observe ce ballet. « Ho-hisse, ho-hisse », les uns et les autres réalisent qu'ici on fait tout à la main comme autrefois. « Tiens bon ! ». « Quand on dit « Tiens bon ! », dit le gabier qui encadre cette manœuvre, il faut ensuite tourner le bout autour d'un cabillot pour bloquer la corde, avant le « Larguer tout ! ». Les marins du bord, bien rodés avec ces stagiaires qui quelquefois sont des néophytes, emploient sans hésitation des mots simples de terriens, tutoiement à la clé, pour que l'assimilation soit efficace. Certains n'ont que deux jours à bord et n'auront peut-être plus l'occasion d'y revenir. Au début on ne sait même pas pourquoi on tire sur tels ou tels bouts, mais un jeu s'installe avec les gabiers, dans la complicité.
 
11h00. Nous sommes déjà à hauteur d'Aurigny, en train de nous engager dans le Raz Blanchard. Les vergues sont orientées avec précision pour essayer de récupérer un vent un peu porteur, mais impossible de couper pour autant les moteurs. Le réglage est bon alors « Tiens bon, tu peux tourner ! » Autour du cabillot se capitalisent les efforts réalisés à l'unisson. Comme toujours en mer, les relations cessent d'être individuelles, et l'élément nous rapproche. Mais là il y a en plus le cadeau du Belem, avec l'intensité des efforts exigés par ce noble aventurier des mers. 
 
Ce samedi, le Belem doit lutter contre un courant dont la direction et la force ne nous permettent pas de tenir le cap souhaité. Je pense à ces anecdotes entourant la grande époque de la marine à voile, des grands clippers qui mettaient quelquefois plusieurs jours à passer le cap Horn, à cause du vent et du courant. Quelle révolution que celle de l'invention des moteurs à vapeur !
 
En voyant ces marins grimper au sommet des mâts, et jouer ensuite aux funambules en dessous des vergues, j'ai l'impression d'avoir changé d'époque. A bord de ce patrimoine flottant, on rentre en résonnance avec le passé. Et au fur et à mesure que je prends mes clichés en noir et blanc, cette sensation s'amplifie. Cet équipage vit et travaille à bord comme on le faisait il y a plus d'un siècle. La seule chose qui change c'est qu'entre deux manœuvres, comme on longe les côtes en slalomant entre Jersey et Guernesey, il passe quelquefois un coup de fil avec... leur portable. Mais mis à part ça, un confort d'aujourd'hui, et le GPS, on navigue toujours sur le Belem à l'ancienne. Par la force des choses. Le soir, les cloques sur les mains sont les mêmes. Avec toujours plein de souvenirs et de moments uniques vécus à adapter le gréement pour que l'oiseau noir et blanc joue avec le vent.
 
Cordages lovés, voiles affalées, hissées ou carguées, briefing de sécurité, déjeuner, les activités s'enchainent et pour nous stagiaires d'un week-end, on a la sensation d'être déjà depuis plusieurs jours à bord.
Vient d'ailleurs l'heure du frisson de l'après-midi : une ascension en haut de la première vergue du grand mât. Les gabiers sont équipés de baudriers et expliquent aux candidats la suite des opérations. Il s'agira une fois agrippé à la vergue, les deux pieds calés sur un bout qui court au dessous du vide de ferler, « carguer », une voile.  Tout le monde se porte volontaire, quelquefois un peu angoissé mais sans tergiverser. Ca se passera une fois dans la vie de certains peut-être ?
 
Pas de temps mort sur le Belem. A peine redescendu du grand mât, le commandant Morzadec nous attend pour nous raconter l'histoire de son bateau. Venu de la pêche, il y a commencé quinze ans plus tôt comme gabier à gravir d'abord les mâts. Avant finalement d'en gravir les échelons hiérarchiques.
 
Tout en longeant l'île de Jersey, on apprend que Le Belem est un survivant, qu'il a une bonne étoile, au moment de l'irruption de la montagne pelée en 1902 par exemple. C'est un coup de gueule entre le commandant de l'époque et un homologue qui lui a piqué sa place au mouillage qui lui offrira son salut. Histoire de chance donc et de caractère aussi.
 
Cet « antillais », nom qui désignait ces anciens transatlantiques dévolus au transport du cacao, emmène dans ses coques tellement de récits, de dates, de rêves, de rebondissements et d'aventures qu'il est aussi le ciment d'une grande famille. Constructeurs, armateurs, marins, gabiers, riches propriétaires, élégantes, c'est un peu de l'âme de tous ces personnages qui est encore présent à bord.
L'âme des marins, de ses propriétaires, de tous ces mécènes, de celles et de ceux qui l'ont aimé, se sont battus pour lui, pour sa survie, est cachée, incrustée à jamais dans sa coque. C'est au prix de multiples souffrances, physiques, morales et financières qu'il a offert à ses chevaliers servants ce que seuls des voiliers de son époque et de son rang peuvent offrir aux hommes : un sentiment unique de liberté.
 
Dimanche 13 juin
Dimanche matin, après un mouillage de nuit samedi soir devant le Sound de Chausey, l'équipage organise un petit tour en zodiac autour de l'oiseau endormi, avant de nouvelles manœuvres, lof pour lof et vent devant la pointe du Grouin et Cancale.
Dans l'après-midi, alors que nous sommes presque en vue de Saint-Malo, les plus hardis montent en haut du grand mât. Le temps fuit encore un peu plus et nous voici déjà en vue de la Conchée, puis de l'île de Cézembre. Saint-Malo est désormais à quelques longueurs de coque. Le sas nous ouvre l'accès au bassin Vauban. Nous sommes finalement amarrés sous les remparts « d'intra muros ». Mes deux sœurs m'attendent sur le quai. Salut à l'équipage. Les nouveaux stagiaires attendent sur le quai. L'aventure va commencer pour d'autres, qui apprécient à leur tour chaque pas en montant la passerelle.
 
Jamais plus je ne regarderai ces grands voiliers de la même manière !
 
Salut Belem, tiens bon ! Bon vent à toi et ton équipage !
Et merci !   
 
Vincent Hilaire
 
 
Photos : Vincent Hilaire.
Tous droits réservés.
 
 

1 commentaire

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  • PerryCheak, le 24/02/2024 à 09:50
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