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Journal de bord des Gazelles - 9 mai 2017 - Jour 11

vendredi, 12 mai 2017 17:04

Dernier jour.

6h. Bon nombre de gazelles ont voulu voir encore une fois le coucher de lune et le lever du soleil sur l’océan. Ils sont de ceux qu’on ne voit que peu de fois dans une vie, de ceux qu’on veut enfouir en soi comme un trésor pour pouvoir y puiser dans des moments de doutes ou de tourmente. Quel spectacle… La lune nous paraît immense, elle nous fait face. Nous l’accompagnons dans son plongeon à l’horizon, tandis que derrière la dunette, le soleil prend le relai. Ses reflets rouges illuminent le Belem, nous sourions, le voilà teinté de rose.

Chaque jour qui passe le sentiment d’appartenance à la famille Belem s’intensifie, l’intimité du Belem au quotidien se renforce. Ce matin, enfournage du pain avec Géraldine à l’aube. Dès le petit-déjeuner terminé, en anticipation de la chaleur (manque de vent), mise en place du taud sur la dunette (agrémenté de jolies queues de cochon, soit disant esthétiques, à débattre…)

La journée se poursuit avec la visite du bureau du commandant. Bel espace, daté, qui rime avec tradition maritime. Au titre des curiosités, deux porte-manteaux en becs d’albatros, de vieux ouvrages rassemblés dans la grande bibliothèque, une mappemonde céleste, la longue-vue du capitaine, le grand mécanisme central qui contrôlait les horloges du bord, toutes restées figées sur 2h15…. Ici tout n’est qu’ordre et beauté.  Le temps semble s’être arrêté…

Cette impression perdure à l’occasion de la promenade organisée à bord du Misainier. Et ce n’est pas seulement dû au canotier de Pierre dit Pop… Avec sa voile au tiers, on se surprend de la vitesse à laquelle cette petite embarcation Axe Belem avance… deux fois plus vite que son illustre embarcation d’attache. Deux poids deux mesures, et l’occasion de plonger les mains et les avant-bras dans la mer, qu’on contemple depuis dix jours sans pouvoir la toucher.

18h. Clôture des Belemiades et punch offert par le Commandant sur le spardeck en compagnie de l’ensemble de l’équipage. L’occasion de trinquer ensemble à tous ces bons moments partagés. Elles ont gagné le premier prix, et sont donc invitées à dîner dans le petit roof avec le commandant et les lieutenants, « sardines sur les épaules » (soit dans leurs belles chemises à galons – merci Péchou). Virginie, Julie, Manon, Sabrina et Anne jubilent.  Tandis qu’elles s’apprêtent, l’équipe restée de quart écoute des chants marins sur la dunette à l’occasion d’un concert improvisé entre Géraldine et Thomas, l’occasion de découvrir deux émouvantes chansons (en bonus pour aujourd’hui – Mon petit garçon et Le tour du monde). Moins lyriques, Tanguy et Pierre entonnent  le 31 du mois d’août en chœur. Fous rires et ultimes séquences photos. En redescendant pour aller dîner, nous ne résistons pas à la tentation et organisons un défilé comique devant les fenêtres du petit roof avec Géraldine et Vincent. La vie est joyeuse sur le Belem et les occasions de rire fréquentes.

Après le dîner, Géraldine s’accompagne à la guitare sur le gaillard. L’occasion d’une petite dédicace à Laura. Répertoire éclectique : Amsterdam, les copains d’abord, les prisons de Nantes, petite Marie, le livre de la jungle… Petite séquence photo pour partager les éclats de rire des photos déguisés et selfies contrariés avec le commandant. Certaines remontent à l’avant du bateau pour profiter encore de la douceur de l’air. La mer murmure. Géraldine nous apprend les accords de « don’t worry, be happy » - de quoi puiser des ressources pour les jours qui viennent et le retour à Terre. On fredonne.  C’est décidé, en rentrant je me mets à la guitare. Je coupe le téléphone de temps en temps. Je prends le temps.

« J’ai pris l’habitude du bruit constant des machines sous la batterie et le roulis qui finit par me bercer. J’ai été réveillée par l’arrêt des gaz en tout début de matinée, 6h00. Je comprends tout de suite…Aïe, nous arrivons près des côtes. Certaines sont soulagées, ravies, d’arriver, de « reconnecter ». Moi, le spectacle des lumières des îles à tout juste quelques miles du Belem ne me rassure pas… Pas envie que ce beau périple s’achève. Envie de recommencer. Envie de refaire le Chemin… »

Nous mettons la dernière main aux petites intentions pour l’équipage, orchestrées par Frédérica, Christelle et Tatiana : nous signons toutes les Polaroid destiné à agrémenter le poste équipage – enfin son plafond car les murs sont déjà plein de souvenirs. Nous avons le cœur gros.

5h30 du matin. Dernier lever en mer. Enfin en mer… plus vraiment. Car la nouvelle du matin c’est que la terre est en vue. Chaque minute qui passe, à mesure que le jour se lève, l’horizon de points lumineux se précise. Au loin se dressent les Canaries, nous distinguons distinctement à présent le volcan Teide. Dix dauphins nous escortent comme pour nous souhaiter la bienvenue aux Canaries et rendre l’atterrissage plus doux. Ils zigzaguent à l’avant du bateau, il y en a au moins une dizaine, quelle belle parade ! A l’approche de la terre, la connexion est revenue, et avec elle son lot de bonnes et de moins bonnes nouvelles.

On remet les voiles. Pas question d’arriver au moteur. Nous sommes toutes sur le pont, certaines encore en pyjama… Ces  manœuvres nous aident à repousser la fin du voyage, pas question de rater ça. L’occasion pour Mathieu de vérifier si nous avons retenu ses leçons et maîtrisons les séquences… Oups. Il nous faudra revenir ! Le Belem glisse doucement, comme dans un film dont nous serions les héroïnes. Voilà dix jours que nous sommes embarquées, le cœur léger, en symbiose avec la nature. Nous avons conscience que ce que nous vivons est unique et profitons de chaque seconde. Chacune retient le temps à sa manière, certaines en se remémorant les bons moments, d’autres en s’étreignant ou encore seules avec elles-mêmes enivrées par le vent ou la musique. Avoir du vague à l’âme, l’expression prendra tout son sens dans peu de temps.

Alors que le pilote espagnol monte à bord pour nous guider à l’arrivée à Gran Canaria, nous assistons effondrées au retour à la civilisation. Port industriel un rien déprimant. Les vivants sont-ils vraiment où on le croyait ? Dernier virage. Instinct de survie des gazelles. Toutes en marinières et chèche jaune. On saisit la Bose pour une chorégraphie trépidante qui allège le dernier mile. Pour peu de temps. L’émotion nous saisit au premier virage en découvrant les parents de Carine en bout de quai, venus lui faire une surprise. Nous « connaissons » déjà Jean-Paul, c’était son anniversaire la semaine dernière… Le comité de pilotage est là, Yvan Bourgnon aussi. La première manœuvre d’approche du Belem échoue, nous offre un répit. Il faut refaire un tour du port pour réussir à nous amarrer, cette fois définitivement. Touline et bite d’amarrage signent la fin du voyage. Le Belem ne bougera plus. L’équipage installe le ponton. Notre chorégraphie se termine et le silence s’installe. Nous d’habitude si disertes ne trouvons plus les mots.

Du Belem, nous emportons de la sérénité, des rires, une incroyable complicité, de belles découvertes, des défis relevés, de nouvelles expériences, une impression d’avoir respiré… Une extraordinaire aventure, un temps à part… Nous sommes vivantes.

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