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Navigation n°4: Marseille / Sète

mardi, 07 mai 2019 10:04

Journal de bord de la navigation n°4 Marseille / Sète ou l'éloge du mal de mer

 

Avis aux lecteurs : Votre très cher serviteur qui écrit présentement ces lignes n’a en aucun cas voulu offenser les lecteurs. Lui-même subissant le mal de mer, il se bat régulièrement et vaillamment pour assurer son quart malgré les assauts de ce mal étrange. Il est donc très bien placé pour décrire ce que peuvent ressentir les victimes...

 « Sécurité, sécurité, sécurité. Ici le Sémaphore Couronne, pour la diffusion d’un bulletin météo spécial sur canal 79, 7…9… ». Le verdict tombe : « Avis de grand frais (force 7) pour la zone PROVENCE, COTE D’AZUR et CORSE »…

Marseille, Mardi 23 avril 10h13, Tout largué et appareillé. A peine les jetées passées le pilote est débarqué : pas de prise de risque pour son transbordement sur la pilotine. Nous laissons les Iles du Frioul derrière nous, le massif de Marseilleveyre ne nous abrite plus. Les rafales commencent à se faire sentir et la mer devient agitée. Profitant du fort vent de Sud-Est nous filons bien 8.2 nœuds au grand largue avec seulement les huniers fixes et volants, misaine, faux foc et quelques basses voiles d’étai. La houle venant de ¾ arrière arrive sur nous en soulevant d’abord la hanche puis l’étrave provoquant ce mouvement caractéristique de tangage avec roulis mêlé d’un fort lacet.

Rapidement les stagiaires les plus sensibles commencent à ressentir les symptômes de cet état redoutable qu’est le mal de mer. Durant ce stage au plus fort des conditions avec parfois un vent établi à 8 beauforts avec rafales et une houle courte de 5m venant de ¾ avant nous avons estimé avoir perdu au moins les deux bons tiers des effectifs, ceux-ci étant réduits à l’état plus ou moins avancé de loque humaine. Les rares survivants aident les membres d’équipage à la manœuvre.

Mais qu’est-ce donc réellement ce mal si dur, si ancré dans les peurs et que beaucoup redoute avant même de l’avoir connu et subi ? Tout d’abord il faut savoir que toute personne normalement constituée peut être sujette au mal de mer. Chacun est simplement plus ou moins sensible et a des limites plus ou moins élevées. Aucune honte donc à avoir, c’est un phénomène naturel bien quoiqu’un peu inconfortable. Résultat d’une désynchronisation de ce que voit le malade avec ce que ressent son oreille interne, les symptômes peuvent aller d’un simple état « barbouillé » largement tolérable à une incapacité totale à garder toutes choses comestibles ou liquides dans son estomac avec parfois l’obligation de finir sous perfusion afin d’éviter la déshydration et rester alité. Plus communément, nous avons coutume de dire qu’il y a quatre facteurs aggravants. Nous les appelons les 5F comme :

-la faim

-la foif (soif)

-le froid

-la fatigue

-la frousse ou simplement stress

Ces quatre facteurs sont bien liés. Une fois les premiers symptômes perçus, le sujet malade n’ayant plus rien dans son estomac, n’a plus d’énergie et par conséquent commence à ressentir une grande lassitude. Il devient rapidement impossible pour lui de réprimer de longs et profonds bâillements et son seul souhait est de pouvoir dormir. Or, comment trouver le sommeil lorsque le simple fait de rester allongé sur une bannette relève du défi et que chaque mouvement provoque la nausée ?  Sur certains navires dans les cabines situées le plus à l’avant les mouvements sont tels que les marins les ont appelées « Zero gravity room». Bref, c’est le cercle vicieux, le début de la fin, la déchéance, la descente aux enfers. Privé de sommeil, l’estomac si vide que de douloureuses contractions des intestins peuvent survenir, jonglant entre coup de sueurs ou frissons, l’environnement du navire parait soudain extrêmement hostile. Le moindre bruit est une agression de même que les variations de lumières. Les odeurs deviennent un supplice. N’ayant plus d’équilibre le regard ne sait plus sur quoi s’accrocher. Coincé dans cet univers clos, il n’y a là, aucune échappatoire. Le sujet ne craint au début qu’une seule chose, c’est qu’il va mourir. Puis une fois au fond du trou et désespéré, ce qu’il a tant repoussé, il le désire maintenant ardemment et voudrait en finir. Enfin vient le coup de grâce au moral, quand finalement il se rend compte que rien ne pourra le délivrer de cette prison qu’est un navire balloté au milieu de cette immensité qu’on appelle océan.

Seul dans votre coin en train de vous morfondre, vous fusillez de votre regard vitreux, avant d’une fois de plus vous pencher par-dessus la lisse, le marin qui vient vers vous, un morceau de pain-pâté à la main, la bouche pleine et qui vous dit : « N’oublie pas de manger après avoir vomi sinon t’auras plus que tes tripes à rendre». Il est vrai que songer à se nourrir lors de ces instants est le cadet de vos soucis et pourtant vital.

Du gingembre au Coca Cola, de la banane, au bracelet d’accupression, du «Mercalm » ou « Nautamine » qui assomment, aux patchs en passant par les « Fishermen Friends », il existe toute une foule de moyens pour combattre le mal de mer. Certains plus efficaces que d’autres avec plus ou moins d’effets secondaires. La base étant au moins de boire pour se réhydrater et avoir quelque chose à rendre pour la prochaine session. Le mal de mer si dur soit-il, s’apprivoise tel un cheval non débourré qui un jour viendra de lui-même réclamer le licol. A force de lutte et de patience, le corps s’habitue et le mal recule jusqu’à un jour se retirer totalement. Mais gare au marin qui reste trop longtemps à terre, le mal reste tapi sournoisement prêt à bondir à la moindre mer démontée.

Baie de Roses, au mouillage avec 5 maillons au guindeau par 20m de fond pour assurer une bonne tenue. Le navire roule lentement sous une légère onde, réminiscence des monstres du large. Quelques faibles rafales soufflent de temps en temps. Les premières têtes émergent des descentes telles des marmottes après une longue hibernation. Les traits sont tirés mais rapidement les couleurs reviennent ainsi qu’un soulagement général. Seules les personnes terrassées par le mal de mer peuvent ressentir ce bonheur intense une fois le mal disparu. On se sent fort, prêt à tout. Les pires moments sont très vite oubliés et on se surprend même à se dire que ce n’était pas si mal. Ce mouillage fut attendu par tout l’équipage, un bon repas, une bonne nuit de sommeil et ça repart. Le lendemain nous repartons sous voile avec un vent portant pour un deuxième mouillage au pied de la citadelle de Collioure. Le zodiac est mis à l’eau et des navettes entre le bord et la terre seront assurées jusqu’à minuit. La majorité d’entre vous, navigants saisira l’opportunité d’une bonne bière pour vous réhydrater après cette navigation.

Le lendemain, le vent a bien molli ainsi que l’état de la mer. Nous avons fait route au moteur jusqu’à Sète au quai d’Alger où vous avez débarqué.

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